Le début de ta fin….

…E comme Ewing.

Une semaine va finir par s’écouler depuis ta biopsie. Un espace temps indéfinissable comme il va y en avoir de nombreux. Nous, avec Papa qui tentons, si tant est que nous puissions, de nous approprier ce premier verdict dévastateur. Toi, qui te remets de ton intervention, expose presque fièrement ton plâtre et surtout qui profite de ce moment donné sans collège avant le D-Day. Comme à l’accoutumée, tu es surprenant. C’est notamment toi qui me pousses à soutenir l’oral de mon mémoire qui clôture cette année d’examen professionnel que je vous ai encore imposée. Tu m’obliges à me dépasser, à affronter ce monde extérieur duquel je nous protège depuis quelques jours. Soutenir l’insoutenable, les regards et les paroles de ces personnes qui savent déjà ou celles qui ignorent. Deux situations dissemblables mais tout aussi délicates, douloureuses. Accompagnée, entourée, je me fais force,  je me mesure à mon jury pour défendre mes convictions d’enseignante qui me paraissent si futiles, si éloignées de ma préoccupation principale c’est-à-dire Toi et lui ou elle, le genre de la saleté nous étant alors inconnu. Plus pour longtemps, je reçois un appel de Necker. Demain, rendez-vous à 9h00 avec le professeur P., sans toi, me précise-t-on. Nous sommes si proches du précipice, mon cœur s’accélère, l’angoisse saisit mon corps entier. Disparaitre,  laisser la bête et le reste sur les bords du chemin, partir loin, ensemble, sans dire mots, sans laisser de traces.

 

8h00. Nous y sommes, salle d’attente colorée et quasi-vide, Désert Land, comme dans ces films futuristes catastrophistes.  Impossible de se dire quoi que ce soit avec Papa, nous sommes muets. Nous t’avons laissé tranquillement dormir, ta sœur n’est pas là. Elle est partie en classe de découverte. Dans l’hésitation, nous avons fini par décider qu’elle irait quand même. « Le cours des choses ne va pas changer, qu’elle profite de ce moment de liberté avant …. », nous sommes-nous certainement dit. Et puis, cela nous permettrait de nous consacrer entièrement à toi, de te dorloter, de t’offrir une parenthèse de douceur. Bref ! Jeudi 22 mai, bureau du Professeur P., elle est accompagnée du docteur qui a pratiqué ta biopsie et qui n’ose pas nous regarder, qui ne prendra pas la parole de tout l’entretien. Son « Cela va aller Madame ? » de la semaine précédente lui parait-il aujourd’hui grossier et indécent ? Peu importe, je me concentre sur l’autre prêtresse du bistouri. Je me rappelle encore de son visage compatissant, de sa voix calme, bienveillante et de son empathie qui lui permet de nous annoncer l’attendu impossible. Sarcome d’Ewing ! Tumeur osseuse maligne. Son fort potentiel métastatique est vaguement évoqué. Ne pas tuer l’espoir de suite. 3 adolescents concernés sur 1 million par an. Le « Pourquoi toi » est vite mis de côté par mon cerveau effrayé, tel un empêcheur de tourner en rond. Éviter l’apitoiement pour avancer. Le protocole est décrit pour anéantir JR, surnom donné avec humour à ta tumeur en référence au personnage emblématique avide de pouvoir et sans scrupule au même nom de famille, Ewing. Chimiothérapies d’attaque pour réduire le volume de la bestiole , opération pour la retirer, analyse (la seule qui nous dira à un moment donné le nombre de cellules vivantes, enfin survivantes au traitement), nouvelles chimiothérapies couplées éventuellement de radiothérapie. 1 an de combat programmé. Parallèlement, un bilan d’extension doit être réalisé pour savoir si JR s’est déjà disséminé dans ton petit corps. Idée simplement insupportable que d’imaginer une telle invasion. Non ce n’est pas possible, Papa me rassure, évitant soigneusement toute anticipation désorganisée. Aucun pronostic ne peut être prononcé. Coup de massue, ferme les yeux, ouvre les yeux. Ce n’est pas un rêve, tu as un cancer mon chéri. Vite, retourner auprès de toi, te regarder, se rasséréner. Nous allons réussir à combattre, à battre, à détruire JR.

 

Cette semaine d’attente depuis ta biopsie nous a au moins permis de dépasser légèrement notre émotion et nous sommes prêts pour t’accompagner tout au long de ce long chemin qui débute pour toi, demain, vendredi 23 mai avec ton premier rendez-vous à l’Institut Curie. Ce nom impressionne, associé fatalement aux crabus divers et variés. « La cour des miracles » me suis-je dit en franchissant les portes du 26 rue d’Ulm. Vite, un xanax sous la langue et se concentrer sur mon émotion grandissante, ne pas pleurer devant toi lors de cette consultation, ne pas t’inquiéter.

 

Nous découvrons ton oncologue, Docteur Pacman comme la surnomme son chef de service. Elle est calme, presque trop, rassurante, attentive à toi mais elle a la mauvaise mission de t’annoncer que ta fracture du péroné est finalement et définitivement une tumeur répondant au nom de Sarcome d’Ewing, JR quoi ! De souvenirs, enfin ceux que mon cerveau affolé a bien voulu conserver de cet inacceptable moment, elle a été très claire avec toi. Maladie osseuse, oui c’est un cancer mais évitons toute association hâtive, examens pour vérifier qu’il n’y ait rien d’autre, écarter la peur et la panique, implantation d’un PAC pour pouvoir administrer ton traitement, résection de la bête et rebelotte, chimiothérapies, rayons si besoin…Tu es prévenu de la longueur du traitement, moins de sa pénibilité mais en 1 heure, tu as déjà reçu de nombreuses informations et pas des moindres. « A lundi jeune homme ! ». Comment cela ? Aussi vite ? Seulement deux minuscules journées de répit avant l’offensive ? Avec le recul, compte tenu de l’agressivité de la chose, bien évidemment qu’il ne faut pas perdre un instant, enfin ne pas le lui concéder pour qu’elle ne le mette pas à profit pour t’envahir.

 

Je ne me rappelle plus exactement ta réaction. Tu as pris sur toi, c’est certain, pour rendre ce verdict moins insoutenable. A un moment, j’ai l’impression que le temps s’accélère et nous propulse dans ce qui va être notre quotidien pendant 17 mois… Présentation de l’équipe soignante, analyses sanguines, visite de notre futur Club comme je le nommerai plus tard avec ironie, radio des poumons, rendez-vous avec l’assistante sociale. Focus sur Pause Café. Agréable, compréhensive, rodée, elle nous amène à prendre conscience de la lourdeur du protocole et de la disponibilité qu’il engendre. Elle expose les différents dispositifs d’aide existants et avec bienveillance, elle nous guide vers la prise de décision qui s’est imposée comme une évidence pour Papa et moi :  j’arrête mon travail pour me consacrer à toi. La situation semble irréelle, disproportionnée mais nous devons mettre toutes les chances de notre côté pour abattre JR ! Et au fond de moi, je ne m’imagine pas une seconde faire classe à 25 bambins alors que toi tu te lances dans la bataille de ta vie.

 

Vendredi 23 mai après-midi. Une bonne pizza dans le ventre pour toi et Papa, un déjeuner pansement avec Isa pour ma part et voilà, Ewing, nous sommes prêts. Enfin, presque ! Tous les trois, nous tentons de l’être mais il reste à prévenir ta sœur. Comment lui annoncer que durant ces 5 jours d’absence, la Vie, enfin la nôtre, s’est quasi arrêtée et que certes, elle est repartie mais pas tout à fait comme nous le voulions ? Nous avons décidé avec Papa que Mathilde aurait toujours le même niveau d’informations que toi. Je la revois descendre du bus, heureuse, entourée de ses copines et entonnant guillerettement avec les animateurs une chanson anglaise … Baby Shark, Mamma Shark, Daddy Shark… Sharks attack ! Ils se trompent tous de méchants et ta soeur va le découvrir rapidement… JR attack ! Aujourd’hui, je sais que pendant longtemps elle n’a pas eu conscience de ce qu’il t’arrivait. Elle l’a subi pourtant journellement. Sa vie a été mise entre parenthèses durant ces longs mois. Malgré nos efforts pour maintenir une normalité insolente à notre quotidien, il y a bien eu un Avant et un Après à cette annonce violente. Sans délais, ta frangine a été catapultée sur le champ de bataille. Et étant donné que l’union fait la force, une véritable chaîne humaine s’est formée autour de toi, mon chéri. Ta Marraine a fait ce dont nous n’avions ni le courage ni l’envie , prévenir tous nos amis proches qui ont eux-mêmes essaimé l’affreuse nouvelle. Un véritable écran-écrin d’amour et de bienveillance s’est mis en place. JR, les hostilités sont engagées. Prends garde à toi ! Enfin…

Ta reum, 18 décembre 2017

 

 

 

 

 

 

 

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