Dimanche 11 octobre 2015. Une semaine s’est écoulée depuis ton départ, toute aussi irréelle que le reste. Nous vivons un cauchemar, nous allons nous réveiller et reprendre notre vie normalement. Nous ouvrons les yeux. Tu es un beau et jeune adolescent de 14 ans,  tu viens de rentrer en 3ème, tu es ravi d’être dans la même classe que tes potes Onyx et Antoine, tu es encore plus enthousiaste de ne pas avoir la prof tant redoutée de Macramés, pas de délation, tu sais bien je n’aime pas cela même si elle le mériterait pour t’avoir tant traumatisé, tu stresses déjà légèrement à l’idée du Brevet des Collèges qui sanctionnera cette année mais nous te rassurons, tout ira bien, tu viens de reprendre le rugby où tu as intégré l’équipe des Cadets, ta sœur est arrivée au collège en 6ème, à ton tour de la tranquilliser tout en lui rappelant de garder ses distances quand même, ma classe de CP a l’air plutôt sympa, je devrais bien m’amuser avec eux, Papa est chauffeur de la Générale, nous en rigolons bien, lui le galérien de la topographie et le roi de la route en combi à 50km/h.  Nous refermons les yeux, apaisés. La réalité nous re-saute violemment à la gorge. Tu nous as quittés, pour toujours et nous sommes à la veille de tes obsèques.

Je suis un robot, je fais les choses machinalement, j’évite de penser, je me laisse porter par nos amis qui orchestrent la plupart des choses, enfin celles qui peuvent l’être. Moi, je me concentre sur l’écriture de ces deux textes que ma Marraine accepte de mettre en voix demain. Page noire. J’ai envie de dégueuler ma tristesse. Mais même ça, je n’y arrive pas. L’heure passe, rien ne jaillit à l’exception des larmes. Je me sers un verre de vin, puis deux, je m’isole dans notre chambre, rien que toi et moi. Accouchement douloureux. Les mots, certains empruntés à des témoignages lus ici et là, paraissent illusoires, impossibles à écrire et pourtant, ils finissent ensemble sur deux pages Word. Lucas, la seule chose que nous souhaitons, c’est ton repos. Par amour, nous te laissons partir, il faut lâcher notre main. Ne t’inquiète pas pour nous. Nous te promettons de continuer à rire de ce qui nous faisait rire ensemble, à sourire, à pleurer, à combattre. La vie signifie tout ce qu’elle a toujours signifié. Elle est ce qu’elle a toujours été. Ton amour va nous porter. Tu n’es pas loin, tu es partout. Nous sommes avec toi. Nous sommes unis à jamais. Vogue, vole Lulu. Vite, un somnifère et au lit, faire taire ces mots qui résonnent en boucle dans ma tête. Essayez de se reposer, la journée sera longue.

Lundi 12 octobre 2015. Levée de bonne heure. Lasse, fatiguée. Papa et Mathilde dorment encore. Besoin d’être seule. Je me prépare, j’ai choisi la veille les vêtements que je porterai. Cela pourrait paraitre futile en ce moment mais je me dois d’être belle pour toi. Cette jupe à pois jamais portée et le chemisier avec les petits chats, j’aime mélanger les genres. Je porterai mon manteau violet et ma grande écharpe jaune. De la couleur extérieure pour s’opposer à ma noirceur intérieure. L’illusion qui risque de ne pas durer ! 8h00, je sors de la maison. Le soleil pointe son nez. La météo aussi pourrait sembler secondaire mais non. Rien ne doit perturber cette cérémonie. Je file au funérarium. Désir vital de te voir et te parler. Je sens que tout va basculer aujourd’hui. C’est douloureux. Je finis par fuir de cet endroit où tu reposes pour me réfugier dans les bras de ma marraine. Elle est arrivée la veille avec Bertrand, ils se sont installés à l’hôtel. On s’assoit sur le coin de leur lit, elle me parle doucement pendant que je bois un café soluble sans même faire attention à son goût peu ragoutant, on relit les textes écrits la veille. L’heure passe, je voudrais rester là pour ne pas avoir à affronter cette journée. Je dois rejoindre Papa pour la mise en bière. Affreuse expression de circonstance pour moment terrorisant. Nous nous retrouvons dans cette petite salle dans laquelle nous avons fini par prendre nos habitudes depuis sept jours, cela a été un peu ta dernière chambre. OK, il manquait quelques mangas, un ordinateur gamer, du bazar et surtout la vie ! Mais bon. Les employés des pompes funèbres nous laissent te dire au-revoir. Il y a urgence. Tout s’emballe. Vite, emmagasiner ton image et ton odeur avant que le couvercle de ton cercueil devienne définitivement une barrière entre toi et nous. Tu es beau, tu sembles apaisé. On t’embrasse, sans même ne plus prêter attention à la froideur de ton corps. Puis, c’est le moment.  Finished, closed, goodbye !

Une part de moi est restée avec toi, me protégeant certainement de ce qui se passe. Tu vas me dire, l’autre part n’est pas non plus là. Impression de survoler mon corps vide. Voiture funéraire, toi, nous à côté en rang d’oignon, moi, devant, Papa derrière. Nos mains sur le cercueil, de peur que tu t’en ailles. Le soleil qui brille sur la Seine, les canards. Trompeuse tranquillité. Arrivée sur Melun, pont anormalement désert. Le clocher de l’église apparait. Les gendarmes en tenue, l’équipe de ton rugby club, tout ce monde sur le parvis. Arrêt. Descente. Salutations polies à ceux que je ne connais pas. Se jeter dans les bras de ceux que j’aime. Ils sont tous ici, venus de toute la France, d’Allemagne même, pour toi, pour nous. Trou noir. Je me revois. Mettre ce bracelet à la tête de Bouddha que Cathy m’offre délicatement à la hâte. Suivre ton cercueil dans cette allée d’église. Sentir l’étonnement qu’il provoque. Embrasser le Docteur Guillaumat à la hâte. S’accrocher à Papa pour ne pas vaciller. Prendre place sur le devant de la scène. Vérifier que Mathilde, Papy, Mamy, Titou, tes cousins soient proches de nous. Tenter d’écouter le prêtre et l’aumônier militaire. Ne pas réussir. Fixer ta boîte pour tenir. Suivre du regard ma Marraine qui se dirige à tes côtés. Ne pas reconnaître mes mots écrits la veille. Hurler en silence.  Apercevoir ton ami Antoine, seul,  effondré. Avoir mal pour lui. Découvrir tes camarades et les témoignages bouleversants qu’ils te livrent. Entendre les voix saisissantes de cette femme et des collégiens qui chantent, accompagnés au piano par ton prof de musique. Regarder toutes ces bougies briller. Comprendre que la fin approche. Observer cette file continue te rejoindre pour ce dernier au revoir. Reconnaitre et voler la tendresse de toutes ces personnes qui sont venues.  Se retrouver les derniers, seuls avec le prêtre qui t’accorde ce signe de croix auquel tu n’as normalement pas le droit, faute d’être baptisé. Te suivre à nouveau. Te laisser partir seul au crématorium. Sentir et se blottir dans l’amour qui règne devant l’église.

Vite, il est urgent que je respire, je me rends compte que je suis en apnée depuis le funérarium. Nous parlons à droite, à gauche. La foule finit par se disperser, les uns repartent et les autres continuent l’aventure. Les Roussel’s nous prennent dans leur voiture, parfait, nous avons oublié que nous sommes à pied, c’est vrai que ton carrosse est reparti sans nous. Nous nous rendons à l’École des Officiers, ils nous laissent une salle pour la journée. Je franchis le seuil de la porte, je suis encore frappée par le monde. Je suis rassurée de savoir que tu es tant aimé, que nous sommes entourés.  Je papillonne de groupe en groupe, je butine l’affection dont j’ai tant besoin aujourd’hui. On parle de toi, notre héros. On boit sans oser lever notre verre, on grignote timidement ce que nos amis ont préparé dans l’ombre ces derniers jours, ils ont tout organisé sans nous demander quoi que ce soit. Quelle chance nous avons. Ta sœur et les autres loulous s’amusent, insouciants. Je me surprends à rêver que tu sois avec eux. Je suis vite rattrapée par l’évidence. C’est l’heure d’y aller. Chemin inverse. La Seine, le soleil, les canards, la fausse quiétude, Saint-Fargeau-Ponthierry, l’arrivée devant le crématorium. Là encore, je sens que je ne suis pas vraiment là, nous calons les derniers détails avec le maître de cérémonie. Viviane est déjà aux commandes. La pression monte, famille et amis prennent place. Ils reforment ce rempart d’amour qui nous protège de la réalité.

Flash-back. Ma marraine donne vie à mon deuxième hommage. Véro prend la parole pour la tienne de Reine, ta Caro, ta marraine. Isa, Manue, Audrey, Ben, Boba nous livrent aussi avec émotion leurs mots pendant que le diaporama que Vik a préparé défile. Nous nous remplissons de toi. Je suis au bord du précipice, je vais tomber. Je m’accroche à ces paroles, enfin celles qui arrivent à pénétrer dans mon esprit tétanisé de douleur. Les larmes coulent sans retenue sur mon visage, il s’illumine aussi de fierté à l’écoute de ces odes qu’ils te rendent tous, à leur manière :

Où vas-tu Lulu ? Tu files en douce ? Tu me laisses là, en plan, comme une vieille chaussette ? Pendant 12 ans et demi, tu fus notre roi. Tu éclairais nos vies par ton sourire, ta douceur et ton extrême sensibilité. Un jour bordel ! On devait tous avoir le dos tourné en même temps… on l’a pas vu venir… la vache ! Et on a eu beau mettre nos plus belle armures, prendre toutes nos armes les plus fortes, celles des grands chevaliers… la chose n’a pas eu peur de nous. Ton infini courage nous remplit de fierté Lulu. Mais la chose était trop forte… Tu as du partir ailleurs pour qu’elle te laisse enfin en paix… Tu es en paix, libéré… Tout notre amour t’accompagne pour toujours. Tant de questions sans réponses… Mais, elle est faite ainsi la vie! Secrète, fragile et souvent  incompréhensible, inaccessible  à  notre raison, Belle ou cruelle !  Elle nous entraine dans  ses merveilles, ses joies et peines, nous fait vibrer, respirer…  Et puis un jour, quand elle a  décidé, elle  nous amène loin, dans un autre  monde, peut être meilleur ! Transparent et pur ! Albert Einstein a dit  « La plus belle chose que nous puissions éprouver, c’est le mystère des choses !!! » Alors, laissons notre cher Lucas, vivre ces beautés mystérieuses ! Laissons notre petit ange rejoindre ce monde de magie qui scintille à l’infini ! Lucas, mon lulu, mon padawan, mon 3ème ligne, mon apprenti Jedi. Tu en auras gagné des parties, des matchs, des combats. Maître Jedi en devenir muni de ton sabre, ou joueur de rugby du stade toulousain, tu l’auras plaqué et mis au sol plus d’une fois cette satanée maladie. Repoussant un à un ses assauts, tu as su la malmener durant plus d’une année. Mais tu sais mon lulu, on a beau être le meilleur des troisièmes lignes, puissant et costaud, quand on est pris dans la mêlée on a parfois du mal à se relever.  Ce qu’il faut que tu retiennes et que l’on n’oubliera jamais, c’est que tu restes malgré tout le plus grand des guerriers. Tu peux être sûr mon Lulu, que tu nous auras donné à tous une belle leçon de vie. Cher Lucas, Tu as déjà la tête dans les étoiles et nous les pieds sur terre. Chacun s’est sûrement depuis lundi reconnecté  à un souvenir qu’il partage avec toi. Moi Lucas, ce qui m’est venu tout de suite c’est un week-end en Normandie. Tu avais 3 ans et tu mettais des pâquerettes partout dans tes cheveux, dans une brouette. Tu portais un blouson orange, tu as toujours aimé cette couleur, la couleur du soleil et de la chaleur. Deux mots qui te ressemblent et qu’on pouvait voir s’exprimer dans tes yeux et ton sourire. Ta disparition m’oblige à être meilleure, meilleure qu’hier, meilleure comme tu l’as été dans ce combat face à la maladie. Meilleure pour trouver les ressources pour vivre avec ton absence. Jour après jour, un pas après l’autre, je te le promets je le serai et c’est comme ça aussi que je resterai toujours en lien avec toi. Lucas, je ne peux te dire au revoir sans t’exprimer tout mon amour et toute ma gratitude devant l’exemplarité de ton combat. Lucas… J’ai confiance … On se retrouvera … En attendant je sais tu veilles sur moi, tu veilles sur nous … Pour nous montrer le chemin et faire briller les étoiles de l’amour qui sont en nous.  Allez, on continue. Ouvrez les volets de la maison morte, allumez la radio, secouez les tapis. Oui, je suis de retour. Faites donc pas cette tête-là les gars, on reprend l’histoire là où l’on l’avait arrêtée qu’importe comment elle finira. A l’horizon passe un cargo. Cela me donne le mal de terre et une douce envie de vous planter là les gars. Le grand voyage a recommencé. Le coup là je pars et je ne reviens pas, je vous retrouverai là-bas sur une île que j’inventerai exprès pour nous. Oui  tout recommencera de l’autre côté de l’horizon. Oui oui promis alors rangez vos mouchoirs allez on continue.

Je sors brutalement de ma torpeur quand j’entends le croque mort dire que c’est le moment. Dernier au revoir. Non, pas maintenant, impossible. Je reste assise, je refuse. Je sens le mouvement, tout le monde sort, famille et amis proches s’entassent autour de toi.  Pas moi. Après c’est fini, ton bateau ira voguer ailleurs. La brutalité de la situation me rattrape. Appelons un chat un chat. Tu vas brûler. Je ne peux pas. Cela n’a pas de sens. Stop, marche arrière, reverse. J’appuie sur le bouton… Mais, bordel, qui a cassé le magnéto ? Tout s’accélère. Nous, le cercueil, derniers adieux, derniers sanglots, dernières accolades, dernier verre, dernières paroles, derniers bisous, dernier rayon de soleil. Nuit noire. Refus. Nous cherchons la lumière. Direction Bourg-la-Reine chez ta marraine. Moustique qui est venu d’Allemagne illumine cette soirée comme il sait le faire, on mange sans faim des pizzas certainement pas très bonnes, personne n’a envie de se quitter et pourtant, le moment tant redouté arrive.

Nous nous retrouvons dans notre chambre tous les trois, Mathilde dort avec nous, elle ne veut pas être seule, moi non plus. Besoin d’être ensemble.  Silencieux, épuisés, vidés. Cette journée a fini par passer, je n’aurais pas cru réussir. J’ai tenu grâce à toi et à l’amour que tu as su répandre autour de toi. Vite, fermer les yeux pour tout conserver, ne rien perdre. Allez, Au revoir !

 

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