Revenons à toi. Après cette suspicion de fracture, les choses sérieuses ont commencé, vite, très vite, trop vite.
« Cancer, cancer… Dis moi quand c’est ? Cancer, cancer… Qui est le prochain ? » – Stromae.

B comme Biopsie.
« Prélèvement de tissu ou d’organe sur un être vivant (toi !) pour l’examiner au microscope ». Nos cerveaux d’occidentaux trop souvent apeurés associent cet acte chirurgical à ce très vulgaire Crabus. Tous, sauf le mien, ni celui de ton père d’ailleurs. Tu as juste une petite blessure que nous n’avons pas prise en compte de suite. C’est tout. Nous planons à 10000, bien loin de cette réalité qui va devenir la tienne, la nôtre. C’est donc avec une inquiétude maîtrisable et après quelques péripéties que nous allons atterrir, nous écraser brutalement à Necker.

En ce joli mois de mai, tu souffres davantage et tu le manifestes, ce qui est rare. De toutes manières, il faut faire cette radio de contrôle, vérifier que ta fracture se consolide bien. On s’affranchit du travail et du collège, direction les urgences d’une clinique de Melun. Cela sera forcément plus simple et rapide que les cabinets de radiologie qui affichent complets en ces veilles de ponts. Oui mais non ! Le docteur urgentiste ne trouve rien d’autres à faire que de ne rien faire ! Pas d’auscultation, on ne sait jamais s’il découvrait quelque chose ! Il affiche un ton condescendant « C’est normal qu’il ait mal, il faut qu’il utilise des béquilles ». Très bien, je note mais ça personne ne nous l’avait dit. « Et tu n’as qu’à faire de la natation au lieu du rugby. Et encore à condition que tu ne fasses pas n’importe quoi autour du bassin ». Hors de question, toi qui a trouvé ton sport, des copains. Et la natation, c’est pas ta tasse de thé d’abord. J’entends encore ces paroles résonner, elles m’ont rendue muette et pourtant, les connaisseurs diront qu’il m’en faut des mots pour couper les miens. Je suis sidérée par son attitude, nous repartons, toi avec ta douleur et moi, avec un bulletin justificatif pour mon travail « d’1 heure ». Première fois que je vois cela, 60 minutes, ils vont rigoler (ou pas) à l’inspection académique. Ce médecin aurait pu s’assumer un peu plus et ne rien me donner. « La prochaine fois, maîtrisez vos angoisses maternelles, ne venez pas me déranger pour rien et débrouillez-vous avec votre employeur Madame ». Bref, je ressors de cet entretien avec une intuition grandissante d’urgence. L’après-midi même, nous nous retrouvons dans le cabinet d’une commune voisine, le radiologue est un homme imposant. Je lui fais confiance de suite, sa carcasse imposante et rassurante, son âge avancé peut-être, sa bienveillance certainement. Je me rappelle avoir ressenti une légère inquiétude, il prend quand-même beaucoup de temps pour faire une simple photo de ton péroné. Il rajoute même une échographie, non prescrite pourtant et en cette période de disette, c’est plutôt rare et zélé. Quelques minutes d’attente. Il revient et me conseille calmement de nous rendre dans un hôpital spécialisé sur Paris, pas le jour même mais rapidement. Aujourd’hui, je suis persuadée qu’il avait repéré la bestiole.

Des urgences de l’hôpital Necker, à la programmation rapide d’un IRM, au bureau de ce docteur à l’accent slave, tout a été très vite. Trop vite. Trop brutal. Bien sûr j’étais un peu soucieuse quand on nous a gardés pour te faire une biopsie mais j’étais à mille lieues de L’annonce. Tous les deux, ensemble, on fait front, on rigole, on fait l’inventaire de ta belle chambre moderne, on joue, on attend, on maugréé sur le retard de ton intervention. Puis nous voilà enfin à la sortie du bloc opératoire. La chirurgienne demande à me voir. Normal, rien d’affolant, c’est la procédure je suppose. Papa est à Melun avec ta sœur, ce n’était pas prévu ce petit séjour en hôtel 3 étoiles, mais Marraine est là, elle a insisté pour rester et je ne m’en plains pas. Nous nous retrouvons donc dans un couloir glacial à la lumière artificielle, au milieu de nulle part, debout. Quatre personnes qui attendent le train et échangent quelques paroles banales, sans intérêt. Cette prêtresse de la chirurgie me demande si je sais pourquoi on t’a fait une biopsie. Pas vraiment, je ne suis pas Doc, moi. La veille, on nous parlait d’hématome, d’infection… Je ne sais pas, je ne sais plus. Je bredouille ce que je crois avoir compris. Marraine a de l’avance sur moi, elle prend le relais auprès de ce staff médical imposant qui finit par lâcher sur nous son inquiétude quasi fondée sur les premiers anapathes. Tumeur osseuse. Bing ! Je me prends un Rer en pleine face, il me défigure, m’écrase, me déchire. Lequel ? A, B, C, D on ne sait pas encore. Il faut attendre une semaine pour lui donner un nom à la bestiole. Commence ici pour moi, pour nous, l’apprentissage de la patience et de la résilience.

On- Off ! La suite est confuse, salle de réveil immense et froide, toi mon Petitout avec un plâtre disproportionné, tes vomissements, ma sidération, mes appels affolés à Papa, à Mamie, ce besoin de dégueuler cette annonce, dégueuler tout court, une nuit sans sommeil à te regarder, à te veiller, à répéter en boucle les mots, le gros mot. C’est impossible, pas toi.
Nouvel entretien matinal avec le médecin de la veille qui a prélevé un bout de toi. Ta jambe immobilisée te gêne, tu es inquiet pour l’école. Comment tu vas faire, ta classe est au 2ème étage et il n’y a pas d’ascenseur. Elle dit simplement qu’elle va te faire un plâtre plus adapté et que ta vie pourra recommencer. Ah oui ! Elle me tape sur l’épaule « Cela va aller Madame ? ». Rêve, réalité. Est-elle frappée d’amnésie ? A-t-elle omis l’information donnée si vite, si maladroitement la veille au détour d’un couloir ? Je contiens mes sanglots, mes hurlements. L’autre docteur présente, celle à l’accent slave, le remarque, me fait sortir de ta chambre. Elle me propose un entretien. J’accepte.

On, off ! Je suis là, j’écoute, je tente de comprendre, mon cerveau se protège, me protège, je ne retiens que des bribes de la conversation, les plus violentes, les plus traumatisantes. Tumeur osseuse maligne quasi certaine à 95%, métastases possibles, chimiothérapie, opération, radiothérapie, 12 mois de traitement, disponibilité des parents, pronostic impossible à faire pour le moment. Tout tournoie encore dans ma tête. Mon ange, je crois que tu as un foutu cancer. Ce même docteur bienveillant prend les choses en mains, te prépare sans t’affoler « Ton os est malade, c’est pour cela qu’il s’est cassé. Nous recherchons pourquoi. Il existe des traitements dont la durée est longue, patati patata ». Je ne suis pas certaine de l’incidence de cette annonce sur toi. Il est évident qu’elle t’a même peut-être rassuré en légitimant cette douleur que tes parents insouciants ont mis du temps à prendre en compte.

A partir de ce jeudi 14 mai 2014, une semaine indéfinissable d’attente commence. « Cancer, cancer… Dis-moi quand c’est ? Cancer, cancer… Qui est le prochain ? ». J’hurle en silence, je souffre, je suis déchirée, je peux répondre, sans y croire. « C’est maintenant et c’est mon Lulu, le nôtre, celui que j’ai mis au monde 13 ans auparavant. Notre petit nous, quoi ! ». Top chrono, nous avons 7 jours pour essayer d’apprivoiser cette idée inconcevable, de rationaliser l’irrationnel, de garder nos peurs pour nous, de t’accompagner sans t’affoler, de s’en tenir au moment présent, de ne pas aller plus vite que la musique, tatataaaa ! Le bal est lancé mon petit Prince.

Ta « Reum », 11 décembre 2016

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